CHEIKH
ABDOUL KHADRE MBACKE (1914 - 1990)
Cet homme hors du commun qui a marqué son temps et qui, à n’en pas
douter, continuera pour l’éternité, d’inspirer la quête de spiritualité
de la Mouridiya en particulier, et de toute la communauté musulmane en
général.
Qui était-il, ce personnage dont le charisme a atteint des sommets
rarement égalés et qui ne nous a laissé qu’un seul regret : la brièveté
de son exercice du Khalifat ?
Divers témoignages de sources autorisées (en particulier celui de son
neveu Serigne Modou Mamoune BOUSSO, Imam de la Grande Mosquée) nous
permettront de tenter de cerner les contours de cette personnalité
absolument exceptionnelle à tous les points de vue.
UNE
NAISSANCE QUI SIGNIFIE BENEDICTION ET SALUT POUR L’HUMANITE
Serigne Abdou Khadre est venu au monde une certaine nuit d’un
vendredi 03 Muharram 1333 de l’hégire, 1914 du calendrier grégorien à
Darul Âlimul Khabir , NDAME. Dès qu’on lui annonça l’heureux événement,
Cheikh Ahmadou BAMBA convoqua sur le champ son frère et homme de
confiance, Serigne Thierno Ibra Faty (Mame Thierno) de Darou Mouhty dans
le but de lui confier la mission de se rendre à NDAME pour faire le
nécessaire requis pour la circonstance . Au moment du départ, après lui
avoir donné sa bénédiction, le Maître dit à Mame Thierno : "Au nom et
par la baraka de ce nouveau-né que tu vas visiter, sache qu’au cous de
ton voyage, à l’aller comme au retour, tous ceux que tu auras à
rencontrer ou à voir sont préservés des flammes de l’enfer ! "
AUTRE SIGNE PREMONITOIRE : UNE ILLUSTRE ASCENDANCE MATERNELLE D’ERUDITS
Sa vertueuse mère Sokhna Aminata BOUSSO est la fille de Serigne
MBOUSSOBE, un frère de Sokhna Diarra, la vertueuse mère de Cheikh
Ahmadou Bamba . Ainsi Serigne Abdou Khadr aurait été le neveu du Cheikh,
s’il n’avait été son fils. De cette naissance, il a hérité d’une piété
si profonde que nul n’est surpris que, tout naturellement, il ait
exercé, toute sa vie durant les fonctions d’Imam. D’ailleurs, depuis
1968, date de la disparition de Serigne Fallou deuxième Khalif du
mouridisme, c’est lui qui a régulièrement officié à la Grande Mosquée de
Touba.
Si tout porte à croire qu’il ressemblait à Serigne Touba à tout point
de vue, La communauté mouride en tout cas elle, en est persuadée !
Sur le plan physique
Les grands disciples qui, ont eu le bonheur d’être des contemporains
de Serigne Touba n’ont jamais fait mystère de leur sentiment qu’en
Serigne Abdou Khadre, c’est bien Cheikhoul Khadim qui était revenu parmi
les siens. En effet, soulignent-ils, ils avaient la même silhouette
frêle et menue d’apparence, la même vêture sobre mais adaptée à
l’ascèse, la même démarche rapide, surtout si la destination est un lieu
de dévotion.
Leurs traits étaient également empreints de la même sérénité et
reflétaient le même bienveillant amour pour leur prochain mais aussi
leur farouche détermination à repousser toute forme de compromis dans le
service de Dieu et de son Elu (Paix et Salut sur Lui) La même douce
lumière divine illuminait leurs yeux pleins de compassion pour le genre
humain.
Sur le plan du respect scrupuleux de la Sunna
Les observateurs attestent qu’il marchait scrupuleusement sur les
traces de son vénéré père. En effet, Serigne Abdoul Khadr avait une
connaissance si extraordinairement approfondie des Hadiths et de
l’histoire de l’Islam en général, qu’en la matière, il était devenu une
référence.
Il affectionnait particulièrement, entretenir son entourage de la vie
et des faits du Prophète (Paix et Salut sur Lui.) et de ses Glorieux
Compagnons. Il en parlait avec une précision si étonnante, un soin du
détail si poussé qu’on avait l’impression qu’il les avait connus
physiquement Les couleurs habituelles de leurs vêtements, la carnation
de leur peau, la texture de leurs chevelures, les détails particuliers
de leurs personnalités, leurs traits de caractère distinctifs, tout,
jusqu’aux faits d’armes dont les uns et les autres sont crédités, leur
niveau d’érudition et les capacités de chacun, tout était passé en revue
avec minutie, comme s’il parlait d’amis qu’il pratique au quotidien.
Évidemment la sunna n’avait pas de secret pour lui. Et, comme son
père, il mettait un soin particulier à se conformer à ce modèle parfait.
Tous ses faits et gestes, comme ses paroles, étaient calqués sur ceux
du Meilleur des hommes (Paix et Salut sur Lui.) Comme pour son père, on
notait chez lui un regain de dynamisme frisant même l’euphorie à
l’approche de l’heure de la prière.
On le voyait alors s’apprêter avec la plus soigneuse minutie. Le
Cheikh, Serigne Abdoul Khadre considérait la prière comme une
comparution devant LE MAITRE DU TRÔNE. Il fallait donc pour cet instant
solennel observer un soin corporel et vestimentaire trés minutieux . On
pouvait alors voir Serigne Abdoul Khadre, délicieusement parfumé des
senteurs les plus suaves, se rendre au lieu de culte d’un pas alerte,
plein d’entrain.
En tout cas, le commun des mourides est persuadé que celui qui a vu
Serigne Abdoul Khadre a vu Serigne Touba. Il n’est, pour s’en persuader,
que son mausolée sis à l’est de la Grande Mosquée de Touba. Il ne
désemplit jamais.
SERIGNE ABDOU KHADRE, HOMME DE GRANDE GENEROSITE
Serigne Abdoul Khadre avait un sens très aigu de la famille. A la
vérité, c’est le genre humain qu’il chérissait. Nous n’en voulons pour
preuve que cette propension irrépressible qui le poussait à toujours
chercher à répandre le bonheur autour de lui.
Des témoignages, divers mais concordants rapportent la joie presque
palpable qui saisit Cheikh Abdoul Khadre, chaque fois qu’il avait
l’occasion de rendre service. Cela était tellement vrai qu’il lui est
arrivé à, plusieurs reprises, d’allouer une récompense consistante à une
personne pour la raison suivante : elle avait porté à sa connaissance
le cas d’un individu dont la situation nécessitait l’intervention d’une
main secourable. Il était tellement heureux d’avoir ainsi l’occasion de
soulager les maux d’un frère musulman que, pour lui, celui qui avait
attiré son attention sur ce cas méritait une récompense.
Ainsi, il n’a jamais éconduit un solliciteur. D’ailleurs c’est lui
qui incitait les nécessiteux à recourir à lui. Cheikh Abdoul Khadre
était très prodigue de ses prières sur tous ceux qui le sollicitaient à
cet effet, surtout les malades qu’il guérissait de façon quasi
miraculeuse si, tout bonnement, il ne " mettait pas la main à la poche "
pour régler leurs frais médicaux, les ordonnances y compris.
Aussi souvent qu’il le pouvait, il procédait lui-même à la prière sur
les morts. Cela était interprété très positivement par des populations
qui y voyaient des preuves, s’il en était encore besoin, de sa profonde
humanité, de son étroite implication dans toute forme d’action dont la
finalité est le soulagement, le bonheur des populations.
Ami de tout le monde, il avait une popularité telle que tous les
habitants de Touba, à commencer par ses frères, le considéraient comme
leur guide religieux. Serigne Abdoul Khadre Mbacké était un Hakim qui
conciliait la sharia et la haqiqa, d’autres diront que c’était la sharia
en personne qui marchait sur terre. Ses contemporains l’appelait encore
Al muftil Qudàti c’est à dire le maître chargé de la formation des Cadi
(juges)
OÙ A-T-IL ACQUIS L’ERUDITION QUI LUI A VALU LA DISTINCTION SOUS LE NOM D’ IMAM DES IMAMS ?
Sa lignée maternelle, les BOUSSOBES, le rattache à une ascendance
chérifienne. La tradition familiale est l’érudition coranique poussée à
ses limites et la maîtrise parfaite des Sciences religieuses jusque dans
leurs arcanes les plus ésotériques. Ce n’est pas par hasard si c’est la
famille BOUSSOBE qui fournit en général les officiants aux fonctions
d’Imam dans la Ville Sainte de Touba.
C’est le Cheikh Ahmadou Bamba lui même qui l’initia à l’apprentissage
du Coran et lui confia à Serigne Ndame Abdourahmane LÔ, sous la férule
de qui , Serigne Abdou Khadre a maîtrisé très tôt le Coran. Ce fut
ensuite pour se rendre à GUEDE chez son oncle Serigne Mbacké Bousso,
c’était en 1926, dans le but d’étudier les Sciences Religieuses, études
qu’il complètera auprès de Serigne Modou DEME, un érudit incomparable
qu’on désignait d’ailleurs par le surnom révélateur de "Alimu Sùdaan. " (
le savant du pays des noirs)
Le produit qui est issu d’une telle formation est parfait à tout
point de vue. Il a développé une telle élévation spirituelle et morale
que tout naturellement il est devenu ce pôle auquel se réfèrent tous ses
contemporains. Par exemple, il n’était certes pas le plus âgé de la
famille du Cheikh, loin s’en faut, mais il avait un charisme tel que
tous ses frères reconnaissaient et acceptaient implicitement son
autorité morale.
Ils admiraient sa droiture, son désintérêt pour les choses de ce
monde, son peu d’attachement aux biens terrestres. D’ailleurs, il est
connu que toute sa vie durant, il n’a manqué la prière du vendredi à la
Grande Mosquée que pendant son séjour en terre saoudienne pour les
besoins du pèlerinage en 1978.
Autre exemple, la reconnaissance de facto de son autorité morale par
toute la communauté musulmane du pays (même les non mourides) qui a
déploré avec douleur la disparition de l’IMAN DES IMAMS quand il nous a
quittés ce jour fatidique du dimanche 13 mai 1990.
L’ETUDE DES VESTIGES DE CHEIKHOUL KHADIM PORTEE A SON PAROXYSME
Serigne Abdoul Khadr accordait une importance à tout ce qui touche la
famille de Cheikhoul Khadim. A la vérité, c’est qu’il vouait à son pére
et Maître spirituel une considération sans commune mesure. Le
prolongement naturel de cet amour que tout le monde lui connaissait et
qui le conduisait très souvent à effectuer d’émouvantes ziarra sur les
mausolées des membres de la famille du Cheikh comme sur ceux de ses
grands disciples.
Ainsi il se rendait souvent au village de Nawel sur la tombe de
Sokhna Asta Walo, la mère de Sokhna Diarra BOUSSO, sa vénérable
grand-mère dont il visitait fréquemment le mausolée à la ville de
Porokhane. Il faisait de fréquentes visites de recueillement , à Sagatta
Djolof sur le sépulcre de Mame Mâram, un ancêtre du Cheikh, comme à
Dekhelé où repose Serigne Mor Anta Sally son grand-père paternel. Les
mausolées de Serigne Mboussobé son grand-père maternel et de son oncle
Mame Mor Diarra à Mboussobé recevaient aussi ses visites assidues, de
même que celui de Mame Bara Sadio, un grand-oncle du Cheikh, à Bofel.
C’est cela qui explique le profond et indéfectible attachement qui
liait Serigne Abdoul Khadr à son oncle Serigne Thierno Ibra Faty. Il lui
rendait de fréquentes visites à Darul Muhty et, bien après la
disparition du Saint Homme, il a continué à entretenir d’excellents
rapports avec sa famille.
QUE POUVONS-NOUS RETENIR DE CETTE LUMIERE QUI A ILLUMUNE NOTRE VIE ?
Serigne Abdoul Khadre, sur les traces de son illustre père, nous a
enseigné ce que sont en réalité l’Islam et son corollaire, le service
exclusif d’Allah. Sa vie n’a été que la défense et l’illustration de ce
credo. A l’image de son Père et Maître, toutes ses démarches et toutes
ses entreprises ont toujours été parées du label "al istiqâma". Voilà
fondamentalement ce que Serigne Abdou Khadre nous a appris et que nous
devons retenir : la droiture, cette droiture doublée du sens de la
mesure et qui est la marque distinctive des élus de Dieu.
Autant le Cheikh disait à qui veut l’entendre que ses ennemis peuvent
tout dire de lui sauf qu’ils l’ont vu ou entendu, un jour, faire ou
dire quelque chose que Dieu réprouve, autant Serigne Abdou Khadr mettait
un point d’honneur à être ce pôle vers lequel convergent tous les cœurs
qui cherchent un modèle de droiture susceptible de les conduire sur la
voie dénommée "çirâtal mustaqîma. "
CONCLUSION
Encore aujourd’hui nous nous souvenons avec émotion de Serigne Abdoul
Khadre. Nous revoyons dans nos cœurs ce visage empreint d’une douceur
angélique. Par dessus ses lunettes qu’il portait très bas sur le nez, il
posait un regard indulgent sur l’assistance venue solliciter ses
prières et sa bénédiction. Alors on pouvait sentir, presque
physiquement, la caresse de ce regard chaleureux venu d’un grand cœur
débordant d’une généreuse et débordante mansuétude pour les créatures de
DIEU.
A nos oreilles résonne encore le timbre bien posé de sa voix. Et,
bien souvent, nous avons l’impression de l’entendre encore déclamer, de
la façon magistrale et sublime dont lui seul avait le secret, les
sourates qu’il récitait lors des prières du vendredi à la Grande
Mosquée. Alors, c’est à grand’ peine qu’on réussit à réprimer les
sanglots qui montent du plus profond de notre être.
L’amertume d’une perte prématurée ressurgit, surtout si l’on pense
aux réponses qu’il faisait à tous ceux qui, s’adressant à lui, lui
souhaitaient longue vie. A ceux-là, il répondait avec un demi-sourire : "
Ce serait tout bénéfique pour vous ! " Nous avons la certitude que,
s’il avait plu à Dieu de nous le laisser, nous aurions vécu une période
particulièrement faste.
Encore aujourd’hui, ses exploitations agricoles et daaras de Guédé,
Boustane et Bakhdad perpétuent le souvenir d’un saint, d’un érudit
incomparable et d’un serviteur de Dieu inégalable.
Tout de même, il y a une petite atténuation à notre détresse :
Serigne Abdoul Khadre lui-même, semblait savoir que son magistère allait
être éphémère. En effet, à tous ceux qui lui présentaient un projet qui
s’inscrit dans la durée, il demandait invariablement d’en faire part,
plutôt, à Serigne Saliou, celui qui allait lui succéder dans les
fonctions de Khalife. Comme s’il savait qu’il n’aurait pas le temps
d’entreprendre ou de piloter quoi que ce soit qui doive aller au delà du
très court terme.
Tel un éclair fulgurant, Serigne Abdoul Khadre a traversé le ciel de
l’Islam, laissant pantois un peuple abasourdi, encore incrédule d’avoir
compté dans ses rangs un "esclave de Dieu" de cette dimension. DIEU qui
nous l’avait donné pour notre bonheur nous l’a arraché après seulement
onze mois de magistère. Il aura vécu un séjour terrestre de 75 ans.
Exactement comme son père !
A Dieu qui nous l’avait donné nous disons : "Innâ li lâhi wa innâ
ilayhi râjihùn " De Lui nous venons, à Lui nous retournerons. Que Sa
volonté s’accomplisse ! Bénis soient ses arrêts, même si notre pauvre
nature humaine, imparfaite par essence, a de la peine à endurer les
douleurs qu’ils peuvent engendrer.