
La Commission technique mise en place, il y a plusieurs mois, avec
l’aval du Khalife Général des mourides, pour réfléchir sur le statut
spécial de la ville de Touba, informe l’opinion qu’elle a déjà produit
un rapport en ce sens. Un rapport qui pose, avec toute l’expertise
scientifique requise, la problématique de l’intégration harmonieuse des
spécificités religieuses, culturelles, sociologiques, démographiques,
économiques de la ville sainte dans l’architecture républicaine de notre
pays. Dans ledit rapport, ces multiples spécificités, justifiant la
réalité d’un statut qui a été, depuis toujours, « particulier de
facto », ont été minutieusement exposées. De même que les problématiques
de gouvernance locale et de développement auxquelles l’absence de mise à
niveau officielle du statut de cette collectivité locale bien
particulière ne manquait de soulever pour son évolution. Les experts
réunis au sein de la Commission technique, se fondant sur cet
argumentaire très documenté, ont ainsi proposé, dans ce rapport, à
l’Etat du Sénégal différents scénarii de formalisation du statut spécial
de Touba. Dans un cadre républicain, garantissant à la fois
l’intangibilité des institutions, la souveraineté de notre pays, l’unité
nationale et l’état de droit.
Historiquement, le Titre Foncier
de Touba constitue l’instrument juridique de sécurisation de la
propriété issue du « droit de hache » que détient collectivement la
famille de Cheikh A. Bamba depuis 1887. L’acte décisif pour la
légitimation juridique de ce statut particulier fut la décision du 17
septembre 1928 de l’autorité coloniale d’accorder à Serigne Mouhamadou
Moustapha Mbacké, le premier Khalife des mourides, « un bail dit de
longue durée pour une période de 50 ans et concernant un terrain rural
ayant la forme d’un carré parfait d’une superficie de 400 hectares sis
sur la route allant de Mbacké à Sagata à une distance d’environ huit
kilomètres 500 de Mbacké ». Cette première concession foncière est
reconnue unanimement et historiquement comme étant à l’origine foncière
et territoriale du statut particulier de Touba.
Le « Titre Foncier
de Touba » existe donc bel et bien. Immatriculé au nom de l’État
colonial, puis sénégalais, sous le numéro 528, établi le 11 août 1930
sur réquisition du Gouverneur Général de l’Afrique Occidentale Française
(A.O.F) et est conservé au Service des Domaines de Diourbel. Le Titre
Foncier a par la suite été modifié, suivant arrêté N° 06553 du Ministre
d’État chargé des finances et des affaires économiques, du 26 juin 1975.
Une troisième étape élargira les limites du titre foncier de Touba à 30
000 ha en 2005.
Le pouvoir foncier du Khalife général se fonde ainsi
sur le Titre Foncier-mère qui est la première base juridique officielle
de sa légitimité sur le sol de Touba. Le Titre Foncier de Touba, comme
tous les autres, relève du « droit de propriété » et est à l’origine,
l’on peut dire, de la reconnaissance par l’Etat d’un statut particulier
de facto. L’interdiction faite à la douane sénégalaise de franchir la
rocade de Touba depuis l’indépendance, la prohibition localisée du
tabac, de l’alcool, des jeux de hasards, de la musique, le choix
exclusif du Khalife du type d’éducation dispensé dans la cité
religieuse, l’interdiction d’activités politiques, la tenue d’un
check-point pour le respect des interdictions du Khalife à Touba, la
création en 1985 d’une brigade de gendarmerie dite « spéciale », suivie
de celles de postes de police « spéciale » sont, entre autres, des actes
effectifs de reconnaissance de ce statut. L’élaboration par le khalife
d’une liste unique du parti au pouvoir sans compétition et la nomination
de l’autorité locale par l’autorité religieuse, en dérogation des
dispositions du Code électoral régissant les autres collectivités
locales du pays, en a toujours été le marqueur principal.
C’est
pourquoi, dans son approche méthodologique, l’argumentaire proposé dans
le rapport de la Commission Technique a distingué, d’un coté, « les
éléments de particularité » que l'on rencontre à Touba et pas
nécessairement ailleurs (comme le titre foncier, la cohabitation de la
légalité républicaine et de la légitimité de l'Autorité religieuse, les
tendances socio-économiques dans la ville sainte, la fonction du
territoire par rapport au reste du Sénégal etc.) et, de l’autre,
le « statut spécial de fait » (comme l'adaptation du code électoral au
contexte de Touba, le régime de gestion de la sécurité dans la ville
sainte avec une police spéciale, une gendarmerie spéciale, le pouvoir de
police reconnu au Khalife (interdiction du tabac, de l’alcool, les
tenues indécentes) etc.).
C’est ainsi dire que la ville de Touba a
depuis toujours constitué un enjeu juridique, institutionnel,
socioéconomique et culturel qui préoccupe les plus hautes autorités de
notre pays. Raison sans doute pour laquelle le Président de la
République, Monsieur Macky Sall, a annoncé, lors d’une visite
préliminaire au Magal 2013, sa volonté de formaliser, dans le cadre de
l’Acte 3 de la décentralisation, le « Statut Spécial » de la ville
sainte. Une volonté du Chef de l’Etat réaffirmée par le Conseil des
ministres décentralisé tenu à Kaolack (en Juin 2012), en ces termes :
« Le Président de la République a demandé de renforcer la
décentralisation. La communauté rurale de Touba a une taille bien
particulière et, eu égard aux activités économiques de cette communauté,
une étude est en cours pour conférer un statut particulier à cette cité
religieuse ».
Tout ceci démontre que la polémique actuelle sur
la légalité de la liste « non paritaire » du Khalife général des
mourides ne peut nullement être appréhendée sous un angle purement
« légaliste » et du reste fort simpliste. Mais plutôt dans un cadre
beaucoup plus global, qui est celui de la nécessité pour notre pays de
mieux prendre en charge les spécificités culturelles des différentes
communautés composant sa nation. Ceci, dans un cadre cohérent où la
diversité sera réconciliée à l’unité, où le local ne sera plus noyé dans
le global, où différence ne rimera plus avec dissidence ou
indépendance. Comme cela s’est d’ailleurs fait depuis longtemps dans
d’autres pays où les principes républicains n’ont en rien entravé une
réflexion approfondie et très réaliste ayant abouti à l’attribution de
régimes ou statuts spéciaux à certaines régions (comme l’Alsace-Moselle
en France, le Val d’Aoste en Italie etc.) ou villes (Paris, Marseille,
etc.).
L’ensemble des données démographiques, spatiales,
infrastructurelles, socioéconomiques sur Touba démontrent amplement
aujourd’hui que son statut passé de « communauté rurale » (donc de
« plus gros village au monde ») et celui de Commune simple, qui lui est
présentement destiné, ne conviennent plus à la seconde ville du Sénégal.
La reconnaissance définitive et assumée du véritable statut de Touba et
de son urbanité est indispensable et conditionne la cohérence
territoriale et institutionnelle de notre pays. En tant que
« métropole de l’intérieur du pays », point d’équilibre territorial,
référence civilisationnelle et identitaire de millions de sénégalais,
dont la croissance fulgurante induit de nouvelles problématiques en
termes de délivrance de services publics de base, d’infrastructures, de
sécurité, de développement économique et de gestion de l’environnement,
Touba a plus que besoin aujourd’hui de trouver sa vraie place dans
l’architecture de la décentralisation, qui vient d’initier sa troisième
grande réforme.
Il s’agira donc pour l’Etat du Sénégal de prendre
pleinement en compte toutes les spécificités de la ville sainte, par la
définition d’un « statut spécial officiel » lui permettant d’avoir accès
aux instruments institutionnels et organisationnels modernes
susceptibles de rationaliser, de façon optimale, sa gouvernance locale.
Dans le plus pur respect de l’unité nationale et de la légalité
républicaine de notre pays.
Commission Technique sur le Statut Spécial de Touba
Fait à Touba, le 12 mai 2014