Réponse d'un marabout (à la lettre d'un "disciple") [Par A. Aziz Mbacké Majalis]
Suite à une intéressante lettre (imaginaire) publiée sur un site antimouride, qui aspire profiter de certains comportements particuliers pour stigmatiser l'institution religieuse dans sa globalité, j'ai pris de mon temps - une fois n'étant point coutume - pour rédiger une réponse du même style à la lettre précitée. L'un des intérêts essentiels de cet échange épistolaire, au-delà du simple aspect anecdotique (et du fait que je n'ai jamais aimé mettre en exergue mes expériences personnelles) , est de remettre en cause les amalgames actuels tendant sciemment à mettre tous les guides religieux dans le même sac de la compromission et du goût pour la facilité. Avec l'objectif inavoué de créer un Nouveau Type de Sénégalais à partir des cendres de l'Autorité spirituelle et la liberté sans limites spirituelles prônée par les schémas importés.
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Lettre d'un talibé (disciple à son "marabout")
« Mon cher "marabout",
J'accepte que tu roules en limousine ou 4x4 pendant je cours derrière les car rapides et clandos
J'accepte que tu dors dans une chambre climatisée alors que les bruits de mon toit en zinc m'empêchent de dormir
Je me tape les embouteillages alors que tu te déplaces sous bonne escorte et tu vas même acheter un jet privé
Je ne peux même pas aller en Europe alors que toi tu as un passeport diplomatique, tu vas où tu veux
Mes enfants ont toujours faim alors que tes restes de repas peuvent nourrir un village entier
Tes fils ne font aucun effort alors mes enfants doivent se battre toute leur vie pour exister et rester dignes
Tu me dis que je peux compter sur toi pour aller au Paradis alors que toi, rien que pour élire le Président d'un pays pauvre comme le Sénégal, tu comptes sur moi et rien que sur moi.
Alors, je te dis "Ma Bagne" !!!! Je refuse !!!
Comme tu dis que tu es capable de tout, fais le sans moi. »
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Réponse d'un marabout (à la lettre d'un "disciple")
« Mon cher "disciple",
Peut être t'adresses-tu à quelqu'un qui se prétend guide religieux sans réellement l'être
Car moi aussi, étant né et ayant passé ma vie dans l'humble banlieue de Guédiawaye
J'ai très tôt connu les affres de la dure vie des plus démunis et des oubliés de la nation
Je me souviens même que dans la maison de mon père, pourtant digne petit-fils de Serigne Touba
Il nous arrivait souvent de nous contenter des restes de repas que laissaient les fréquents invités impromptus
Et les modestes conditions de vie que nous permettaient la DQ défalquée des aides qu'il tenait, en tant que marabout, à assurer à tous les disciples, d'où qu'ils viennent, et à tout le quartier (mourides, tidianes et même chrétiens)
Notre maison fut et resta jusqu’à nos jours, comme celle de beaucoup d'autres "marabouts", le refuge des parias de toutes sortes et des rejets de la société
Une maison ouverte à tous et où l’on n’avait nul besoin d'autorisation pour venir manger en groupe, à n’importe quelle heure
Je me souviendrai toujours de ce jour où, bien qu'alité et gravement malade, mon père se leva difficilement et alla écouter, sans broncher, les nombreuses doléances l’attendant et qui lui était quotidiennement soumises
Restant sourd à nos pressions de rester au lit et de renvoyer les requêtes jusqu'à sa guérison, du fait de sa haute notion de la responsabilité sociale confiée par Serigne Touba
Ah ! Je ne l'ai peut être pas encore dit, mais mon père a toujours travaillé et gagné sa vie à la sueur de son front
Résistant aux appels du régime de Senghor et de Diouf, il n’eut son premier véhicule (une modeste 504 d’occasion) qu’à sa retraite, après plus de 30 ans de bons et loyaux services à la nation
Beaucoup se souviennent jusqu'à nos jours de la blouse blanche qu’il arborait sans aucun complexe dans son lieu de travail
Et je n'oublierai jamais le jour où, venant du Lycée Lamine Guèye, je le retrouvais avec mes camarades de classe debout, fier et serein, n’ayant pas trouvé de place assise, dans le bus (P5) de la SOTRAC reliant alors la gare Lat-Dior à Guédiawaye...
C'est vrai qu'il avait appris l'endurance dans la dure vie des daaras de Serigne Bassirou, son homonyme, et appris à supporter stoïquement, en apprenant le Coran, des privations les plus extrêmes
Comme a aussi souffert, dans la dignité, son grand-frère et actuel Khalife des mourides, Serigne Cheikh Maty Leye, dont les épreuves subies avec stoïcisme et dignité à Keur Nganna te paraîtraient simplement, à toi et à la majorité des mourides contemporains, impensables !!!
Vu l’image de facilité que tu te fais des "marabouts", tu ne pourrais pas non plus, cher "disciple", imaginer qu’il lui est souvent arrivé de ne pouvoir assurer son carburant de retour du magal...
Vu qu’il avait distribué toutes les adiyas reçues entre les dépenses pour les invités et les innombrables solliciteurs qui se bousculaient une fois le magal fini
Et qu’il était ainsi obligé d’emprunter ailleurs ce qu’il avait cent fois dépensé pour les autres
Ce sont ces valeurs de « jom », de « foula », de « kham sa bopp », de ne dépendre de quiconque, qui nous furent inculquées, valeurs héritées de Serigne Touba, qui m’incitèrent plus tard à toujours compter sur le fruit de mon travail
Car « Dieuf dieul » et « Niaq jarignu » furent de tout temps la devise des vrais mourides, guides comme disciples
Ce sont ces valeurs qui m’incitèrent également à ne pas consentir à tendre ma main à quiconque, malgré les nombreux talibés nantis de mon père, lorsqu’il m’arriva de ne pas avoir de moutons de tabaski à plusieurs reprises
M'obligeant, moi et les miens, à garder notre porte modestement close pour ne pas prêter le flanc aux visiteurs matinaux qui ne comprendraient nullement qu'un "Mbacké-Mbacké" n'ait pas les moyens de s'acheter un mouton
Savais-tu, cher nouveau type de talibé (N2T), qu’il arrive à des "marabouts" de ne pas avoir de quoi subsister et que leur dignité ne leur permet pas de l’afficher ?
Moi aussi, saches le, j'ai connu les affres des cars-rapides, les "yakkalé" intempestifs à Grand-Yoff, HLM Robinet Lansana, Niarry Tally, Pharmacie Golf, Case bi etc.,
De même que les clandos négociant interminablement avec les policiers dissimulés derrière les "coxeurs" émissaires, aux ronds-points de Dakar
Moi aussi j'ai connu les discussions passionnées du peuple durement amoncelé entre les "versailles" et le "salon" des cars-rapides démantibulés, serré prés du chauffeur et de son levier de vitesse encombrant, attendant le "ci kanam passe" bruyant des "apprentis"
Moi aussi j’ai vécu les débats matinaux des vendeuses de poissons et des apprentis mal réveillés, l’insulte à la bouche, prêts à en découdre pour moins de 25 francs
Moi aussi j'ai connu les embouteillages énervants de Dakar qui ont le malin plaisir de n'apparaître que lorsqu'on est le plus pressé, quand on doit passer un contrôle continu, un examen ou aller à un rendez-vous important, et que l'on n'a pas le moyen de se payer un taxi, au risque de ne pouvoir rentrer chez soi
Moi aussi, il m'est arrivé, à la Fac Sciences, de ne pouvoir rentrer chez moi aux heures de pauses, de me contenter d'un modeste "pain-thiaaf" en guise de casse-croûte, arrosé d'un "mboussou bisaap" édulcoré, que me permettait mon modeste argent de poche d'alors
Ah ! J'oubliais, je ne suis jamais encore allé en Europe, ni aux USA, n'ayant jamais recherché un passeport diplomatique auprès des gouvernants
Et même si c'était le cas, pourquoi pas ?, du moment que l'on en donne aux politiciens, aux lutteurs, aux musiciens et aux danseurs de ce pays
Et que la modeste oeuvre que j'ai entreprise dans Majalis.org et l’utilité de mes recherches pour la diaspora ne me semblent pas moins méritantes que les envolées lyriques de ces folkloriques « Ambassadeurs plénipotentiaires » désignés
Ou même ces footballeurs de la République à qui l’on donne des milliards du trésor pour revenir bredouilles, sans susciter nul scandale sur l’utilisation inopportune de l’argent du "contribuable" sénégalais pour trois défaites d'affilée
Savais-tu, cher "talibé", que j’ai sacrifié une prometteuse carrière d’ingénieur et plein d’autres opportunités que tu ne peux imaginer, rien que pour demeurer au service de l’Islam et du peuple ?
Savais-tu qu'il existe encore au XXIe siècle des marabouts prêts à ces sacrifices ?
Bien sûr que non, parce que tu te contentes uniquement des médias people qui ne se focalisent, pour des raisons non encore avouées (ou avouables) que sur les trains religieux qui n'arrivent pas à l'heure...
N'est-ce pas un peu trop facile ?
Je pourrais bien, cher "disciple", te relater plein d'autres exemples qui rappellent que le sénégalais ne sait, en général, que s'exclamer sur les résultats sans tenir compte du lent et fastidieux processus ayant abouti à ces résultats
Si, un jour prochain, tu me vois richement habillé de basin, monté sur une belle 4x4, te souviendras-tu seulement que j'ai du passer la presque totalité de ma vie à rechercher péniblement l'Agrément de Dieu, dans la dignité et le ngor ?
Et qu'une 4x4, une rutilante 8x8, une 16x16 ou la plus luxueuse des limousines, ou n'importe quel bien matériel au monde, ne sauraient effacer la Lumière de Dieu d'un coeur profondément imbibé de Son Amour Éternel ?
Est-ce par simple goût du luxe que Cheikh Mourtada avait une limousine ? Lui qui avait passé sa vie à élever haut le Flambeau de l'Islam aux quatre coins du monde, à structurer la diaspora sénégalaise et qui a mis en place, par ses moyens propres, le réseau scolaire privé islamique le plus vaste du pays ?
Donc, si tu veux simplement montrer qu'il existe, parmi les religieux, des brebis galeuses qui ne s'acquittent pas comme il faut de leur mission, j'acquiescerai de bon gré avec toi
Ayant d’ailleurs depuis toujours dénoncé, bien avant toi, les dérives de ce que j'appelle dans mes recherches les "mouridophages"
Mais si tu veux profiter de ces dérives pour indument généraliser et s'attaquer ainsi à l'institution religieuse et au sens de l'autorité fondant nos valeurs et croyances, pour nous proposer un NTS dénué de tout sens du respect et de la mesure
Saches que, dans cette même logique, tu devrais également rejeter l'Islam, du fait des dérives des extrémistes musulmans, ses schismes et autres terroristes dont les actes dénaturent le Coran
Tu devrais aussi rejeter l'autorité de tes parents, du simple fait qu'il existe des parents pédophiles qui violent leurs enfants
Tu ne devrais pas non plus te marier, du fait de l'existence de femmes adultères et d'un grand nombre de jeunes filles matérialistes de nos jours
Tu ne devrais pas non plus accorder un quelconque crédit à l'information et aux médias, du fait des nombreux journalistes véreux, des patrons de presse mouillés et autres mercenaires de la plume
Et pour élire le futur Président, sois rassuré, je fus, en tant que marabout, l'un des premiers à dénoncer les amalgames actuellement faits sur cette question
Ce qui fait que tu n'aies point besoin de refuser ("boul bagne") quoi que ce soit, très cher "disciple"
Car j'ai refusé, bien avant toi, toute utilisation démagogique de la religion ("maa la njeukeu bagne")
Donc si tu veux verser dans l'amalgame, désolé, mais tu le feras sans moi.
Ton très cher "marabout".»
Serigne A. Aziz Mbacké Majalis
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