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Cheikh Mouhammadou Bachir Mbacké : Le Gardien du Temple
Cheikh Mouhammadou Bachir Mbacké, plus connu sous le nom de Serigne Bassirou, vint au monde en 1895, dans un contexte religieux particulier car coïncidant avec le départ pour l’exil de son père et guide spirituel Cheikh Ahmadou Bamba, exil dont celui-ci dit : « le motif de mon départ en exil procède de la volonté de Dieu de me faire accéder à un haut rang (spirituel), de faire de moi l’intercesseur de mon peuple et le Serviteur éternel du Prophète ». Son avènement dans ces circonstances pénibles pour le mouridisme intervint néanmoins sous d'heureux auspices, en vertu de ce verset coranique : « Annonce le bonheur (wa bach-chir) aux endurants qui, quand le malheur les atteint, disent : ‘A Dieu nous appartenons et à Lui nous retournerons’ » (sourate 2, verset 152). On comprend donc aisément le supplétif nominal « Al Bachīr » (celui qui apporte la bonne nouvelle, le bonheur) affixé au nom baptismal du nouveau-né et relatif au Prophète Mouhammad (PSL) dont il fut l’homonyme. D’ailleurs, la sémantique Al Bachīr présageait la contenance joviale naturelle qui se dessinait sur le visage de cette illustre figure et qui se retrouve dans sa plus éloquente expression chez son fils et actuel Khalife général des mourides, son éminence Serigne Mountakha Mbacké, un homme religieux au visage radieux qui suinte en permanence une odeur de gaîté et un parfum de sainteté.
Dire que Serigne Bassirou Mbacké est un fils de l’éminentissime Cheikh Ahmadou Bamba, qui évidemment se passe de présentation, aurait suffi pour attester de son ascendance glorieuse. Sa vertueuse mère se nommait Sokhna Fatou Madou Mame. Le père de celle-ci, Serigne Madou Mame Diop, fut le fils de Serigne Cocky Madou Fakhoudia Diop, fils du célèbre érudit Serigne Makhtar Ndoumbé Diop (1701-1783), par ailleurs fondateur de Cocky. Sokhna Fatou Madou Mame fut aussi une descendante du célèbre érudit et Qādi de Pire, en l’occurrence Khaly Amar Fall (ca 1555-ca 1638). Celui-ci fonda l’université islamique de Pire d’où sortirent d’illustres figures marquantes de l’histoire religieuse du Sénégal telles que Thierno Souleymane Baal (ca 1720-ca 1880), l’Almamy Abdel Kader Kane (ca 1726-ca 1807), Elhaj Oumar Foutiyou Tall (1797-1864), pour ne citer que ceux-là. Nonobstant cette glorieuse ascendance paternelle et maternelle dont il ne se contenta point, Serigne Bassirou marcha résolument sur la voie de ses pieux ascendants, car il avait assimilé les sentences que son vénéré père eut enseignées dans son poème intitulé Nahju : « Les hommes, du point de vue analogique, sont égaux : Adam est leur père et Eve leur mère. Si tu vois des gens se targuer de leur ascendance glorieuse, [sache que celle-ci] n’a pour origine que l’argile et l’eau. Il n’y a de gloire que parmi les érudits (les hommes imbus de savoir) eu égard au fait qu’ils sont les recteurs pour ceux qui sont en quête de droiture ».
A l’instar de ses grand-frères Cheikh Mouhammadou Moustapha Mbacké et Cheikh Mouhammadou Fallou Mbacké, Cheikh Mouhammadou Bachir apprit le Coran auprès de Serigne Ndame Abdourrahmane Lô. Il termina son apprentissage coranique auprès de Serigne Mbaye Diakhaté – qui fut aussi un descendant de Serigne Pire Khaly Amar Fall. Au retour d’exil, Cheikh Ahmadou Bamba s’enquit des études coraniques de Cheikh Bachir et celui-ci lui rétorqua qu’il en était au verset : « Dieu a certes bien agréé les croyants quand ils t’ont prêté le serment d’allégeance sous l’arbre » (sourate 48, verset 18), laquelle réponse constitua, sans nul doute, une preuve irréfutable de l’agrément divin que le Cheikh eut impétré à l’issue de son exil si éreintant mais si exaltant. Dans son hagiographie sur Cheikh Ahmadou Bamba intitulé Minan al-Bāqī al-Qadīm (les Bienfaits de l’Eternel Pré-Existant), Serigne Bassirou nous fait part d’une conversation qu’il a eue avec le Cheikh au sujet de l’exil : « Un jour où je fus en sa compagnie, on évoqua certaines des peines et des épreuves qu’il avait subies pendant son exil. Touché, l’un d’entre nous gémit et s’écrit : « O Dieu, que cette épreuve était dure ! » Notre Cheikh sourit alors et dit : « C’était dur. Mais, à Dieu ne plaise qu’elle n’ait pas lieu ! En effet, le rang et l’avantage qui m’ont été accordés n’auraient pu être obtenus que pour une cause qui leur aurait été proportionnelle en grandeur ».
Serigne Bassirou Mbacké a appris les sciences religieuses auprès de son père, mais aussi auprès de beaucoup d’érudits, notamment des érudits maures qui fréquentaient la concession de Cheikh Ahmadou Bamba. Celui-ci fut une source intellectuelle et spirituelle intarissable pour ces mauritaniens à la curiosité insatiable. Bel homme d’une beauté légendaire, doté d’une élégance et d’une éloquence rares, ce fin lettré fut un éminent érudit et un brillant esprit. La grande érudition de Cheikh Mouhammadou Bachir embrassait les sciences islamiques, classiques et modernes telles que la théologie, la jurisprudence islamique, le soufisme, l’exégèse coranique et la science des Hadiths prophétiques, la linguistique et la prosodie arabes, l’hagiographie, la philosophie, l’histoire etc. Il suffit de scruter son ouvrage hagiographique précité pour se rendre à l’évidence de son savoir encyclopédique. En effet, il y traite de thématiques riches et variées (versets coraniques, sentences prophétiques, questions mystiques, aspects théologiques, subtilités philologiques, rappels historiques, contextualisations sociologiques etc.). Cheikh Bachir, somme toute, fut véritablement un océan de savoir au service duquel il se mit et qu’il promut à travers plusieurs écrits poétiques et prosaïques d’une haute facture esthétique.
Serigne Bassirou fut éduqué exclusivement par son père et maître spirituel Cheikh Ahmadou Bamba, ce qui lui valut d’être le dépositaire de beaucoup de ses qualités humaines et spirituelles. Sa piété, sa magnanimité, sa courtoisie et son sens de la diplomatie lui valurent d’être un médiateur attitré et un régulateur social vénéré. Il demeura en permanence en compagnie du fondateur du mouridisme pour qui il vouait du reste un amour ineffable pendant ses trois dernières décennies sur terre, un privilège exclusif qui lui conféra le titre de gardien du temple de la Mouridiyya. Cheikh Abdoul Ahad Mbacké, troisième Khalife général des mourides, dit un jour que si quelqu’un avait entendu parler de Cheikh Ahmadou Bamba et qu’il voudrait connaître sa doctrine, il aurait souhaité qu’il rencontrât Serigne Bassirou. Par ailleurs, le nom de Cheikh Bachir s’associe à des étapes marquantes dans l’itinéraire du mouridisme :  l’Exil (l’événement qui correspond à son avènement), le séjour à Diourbel (qui marque son perfectionnement spirituel) et la cité de Porokhane (dont le rayonnement consacra son couronnement. A propos de Diourbel, le Cheikh écrit : « ils [les colonisateurs français] ont décidé de m’assigner en résidence à Diourbel en l’an 1330H [1912]. S’ils en avaient pénétré les secrets, ils ne l’auraient assurément point souhaité, car cette assignation signe la déchéance et la mort de mes adversaires cependant qu’elle consacre mon éternité et pérennise mon Bonheur ». A propos de Porokhane, la sainte ville de Mame Diarra dont Serigne Bassirou initia le Magal au début des années 1950, Cheikh Ahmadou Bamba déclara : « quiconque se rend à Porokhane [en vue d’y effectuer une visite pieuse] et y séjourne un tant soit peu, je l’y trouve ou il m’y trouve ». Il faut faire remarquer que c’est le saint de Touba qui avait intimé l’ordre à Cheikh Bachir d’aller s’installer à Porokhane afin de tenir compagnie à sa vertueuse mère esseulée dans cette contrée du Saloum.
L’œuvre de Cheikh Mouhammadou Bachir à Porokhane est pérennisée par ses illustres fils tels que Serigne Moustapha, le bâtisseur dont beaucoup de réalisations dans cette ville sont à l’actif, Serigne Abdoul Hakīm, la sainteté sublimée dont l’œuvre spirituelle est magistralement perpétuée par son jeune frère Serigne Fallou, être pieux et effacé, Serigne Mountakha, le gardien de l’orthodoxie et de la praxis mourides, assisté avec fidélité et ingéniosité par son jeune frère Serigne Isākha, diplomate chevronné. Triple khalife – khalife de Darou Minane, khalife de Porokhane et Khalife général des mourides, Serigne Mountakha, troisième petit-fils-Khalife du mouridisme, a toujours inscrit sa mission sacerdotale suivant la trilogie adoration, éducation, action, en application des propos historiques de Cheikh Ahmadou Bamba peu de temps avant la fondation du mouridisme : « ils m’ont conseillé d’accourir vers les portes des roitelets, ainsi obtiendrai-je en permanence des faveurs et des privilèges immenses. Et je leur rétorque que Dieu me suffit et je me contente de Sa Providence et de Son Assistance. Au demeurant, rien ne m’enchante en dehors de la science (savoir) et de la religion (l’Islam) ».
« Tout en moi constitue un miracle en soi », écrit Cheikh Ahmadou Bamba. On aurait pu donner plusieurs prodiges qui illustrent sans ambages le caractère thaumaturge de cet illustre personnage. Il n’est pas, par exemple, gratuit que Cheikh Sidy Moukhtar, septième fis de Cheikh Mouhammadou Lamine Bara, fut le septième Khalife général des mourides et que son magistère, marqué par l’émergence de sept minarets à la grande mosquée de Touba, dura sept ans et sept mois : la durée exacte de l’exil de Cheikh Ahmadou Bamba. Il n’est pas non plus fortuit que Serigne Mountakha succède à Serigne Sidy Moukhtar comme Khalife général des mourides, étant donné que leurs pères respectifs (Cheikh Mouhammadou Bachir et Cheikh Mouhammadou Lamine Bara qui se seraient d’ailleurs succédé au khalifat s’ils avaient vécu plus longtemps) ne présidèrent pas aux destinées du mouridisme. Cela doit aussi servir de leçons et de réflexions pour les esprits enclins à croire que l’accession à la dignité de Khalife général confère un statut de préséance sur les autres non investis de cette fonction, conformément à la volonté divine.
Cheikh Mouhammadou Bachir entretenait d’excellents rapports avec ses frères et sœurs. Ceux-ci lui vouaient un amour immense eu égard à ses qualités humaines exaltantes. C’est amour fraternel qui ne fut mû que pour la face exclusive de Dieu fut réciproque, désintéressé et quasiment inné chez tous les fils et filles de Cheikh Ahmadou Bamba. En témoignent les homonymes qu’ils donnent les uns aux autres, l’enseignement et/ou l’éducation de leurs enfants qu’ils confient les uns aux autres, le respect et l’estime mutuels, la courtoisie, l’affabilité, l’humilité et l’amitié qui caractérisent leurs relations. En effet, chacun d’entre eux projetait l’image de Cheikh Ahmadou Bamba en son prochain. Cheikh Mouhammadou Bachir fut le fidèle compagnon, le proche collaborateur et le confident de Cheikh Mouhammadou Moustapha (premier Khalife générale des mourides) et de Cheikh Mouhammadou Al-Fadlou (deuxième Khalif générale des mourides). L’histoire s’est répétée dans les relations privilégiées similaires que Serigne Mountakha a entretenues avec les deux premiers petits-fils-Khalifes en l’occurrence Serigne Elhaji Mouhammadou Lamine Bara et Serigne Sidy Moukhtar.
Cheikh Mouhammadou Bachir fut un grand travailleur qui avait beaucoup participé au développement social et économique du Sénégal. Il fut en effet un agriculteur hors pair et le fondateur de plusieurs villages parmi lesquels on peut citer Darou Salam Kayel, Tīp, Touba Mboul, Nasrou, Tawfīkh. Il fut également l’initiateur et le promoteur de plusieurs centres socio-éducatifs appelés daara. Il fut reconnu unanimement comme étant un grand serviteur de la science et de l’éducation. Rappelé par son Seigneur en 1966, le maître de Darou Minane aura marqué la postérité et son souvenir fait naître chez nous beaucoup de bonheur. Puisse l’Agrément de Dieu lui être accordé et son mystère sanctifié pour l’éternité.
Serigne Bassirou aura inculqué son amour du culte divin et sa passion pour le savoir à toute sa progéniture. A titre d’exemple, Serigne Mountakha, khalife de Cheikh Mouhammadou Bachir, annonça la couleur en sa qualité de nouveau Khalife général des mourides en plaçant son magistère dans une dynamique épistémologique. Le 5 février dernier, il prononça une allocution historique où il déclina son parcours intellectuel et son itinéraire spirituel, mit en exergue l’importance du savoir et la place qui doit être la sienne dans le mouridisme et souligna l’urgente nécessité d’édifier un centre d’instruction et d’éducation dans la ville sainte de Touba qui, selon ses termes, « sera un temple du savoir qui n’envierait point les centres classiques de la science Islamique tels que Médine, Basra et Koufa ». Puisse sa Majesté accorder à cet héritier de Serigne Bassirou longévité et santé, le placer sous Sa Protection inviolable et lui gratifier de Son Assistance durable afin qu’il parachève, en toute beauté, toutes ses ambitions pour le mouridisme, l’Islam et l’humanité.
 

Cheikh Amadou Bamba Seye, professeur d’anglais.                       Etats-Unis, le 18 février 2018

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